28 ans, en colocation

“Il y a un temps pour tout” paraît-il. C’est certainement assez vrai.
Il y a un temps pour naître, il y a un temps pour jouer aux Barbies (ou pas), il y a un temps pour sortir en boîte, il y a un temps pour les études, il y a un temps pour passer son permis, il y a un temps pour se marier, il y a un temps pour divorcer, il y a un temps pour une carrière, il y a un temps pour la retraite, et puis il y a un temps pour mourir. Si l’échelle de la vie humaine dressée par notre société moderne semble échelonner chacune de ces étapes de vie par paliers prédéfinis, qui a réellement le pouvoir sur le temps qui passe ? Qui décide ce qui est juste à quel moment de la vie d’une personne? Comment peut-on prétendre que ces étapes sont adéquates à tel ou tel moment de la vie si on ne sait même pas quand celle-ci va s’arrêter ?

La réponse c’est qu’on n’en a pas la fucking moindre idée. Que celui qui a lancé le “il y a temps pour tout”, vienne m’expliquer dans quel manuel on trouve quel temps pour quoi. Parce que tout ça, c’est un ramassis d’idées reçues.

L’alarme sonne aujourd’hui

J’en viens évidemment à prêcher pour ma paroisse, vous pensez bien. Parce qu’en réalité, le “temps pour tout”, ça rassure, ça donne un équilibre, un repère et c’est ok. Mon échelle de vie à moi a été légèrement distendue. Il fallait pas faire les choses dans l’ordre évidemment. Alors que la majorité des étudiants passent par la case colocation et vie de campus avant de se trouver un appartement seul ou en couple, la vie m’a réservé un menu différent puisque j’ai commencé par le dessert. J’ai plongé hors du nid familial pour me mettre en ménage en tout début de vingtaine, alors que je jonglais encore entre mes cinq jobs étudiant pour payer l’uni, mes loisirs, me nourrir et que je tentais accessoirement de réussir mon Bachelor, tenir mon appartement en ordre et manager mes engagements bénévoles dans mon club sportif et l’association que j’ai co-créé à la même période. Foncé tête baissée ! Il faut croire que c’était le “temps pour ça”. Une vraie vie de daronne avant l’heure alors que mes amis vivaient soit chez papa maman, soit avec les copains copines en ville. Sept ans plus tard, je regarde en arrière, puis je regarde en avant et je me rends compte que ma vie sera toujours la même si je continue sur ma lancée et que je ne vivrai jamais l’expérience de l’indépendance et de la vie en communauté. Je décide alors d’arrêter mon regard sur l’horloge. J’ai 28 ans, et c’est maintenant. 

Alors que les potes commencent à avoir des appartements à eux, quittent les cocons familiaux et les colocations, prennent des chats et découvrent les joies de se choisir un aspirateur, je quitte ma petite vie bien rangée à deux avec comme seul compagnon ma valise contenant quelques affaires pour les six prochains mois direction : la colocation à New York.
Ce n’est peut être pas l’ordre habituel. Mais est-ce que la vie est faite pour être vécue dans l’ordre qu’on nous dicte de suivre ? S’il y a un temps pour tout, le temps de cette aventure est planifié maintenant dans le calendrier de ma vie. Pas avant. Pas après. L’alarme sonne AUJOURD’HUI. Parce qu’heureusement pour nous, le temps n’est pas une ligne droite. Je fais donc un petit détour dans mon destin tout tracé pour en écrire un nouveau chapitre. Et c’est la meilleure idée que j’ai eue de ma vie.

Brooklyn et la coloc à 24

Je m’en vais donc vivre avec 23 colocataires dans une maison de Brooklyn, fournie par une agence belge. Ayant crainte de me retrouver avec une brochette d’encoublés de 17 ans, je me rends compte assez rapidement que la colocation c’est pas du tout ce que je croyais. La moyenne d’âge des colocataires augmente chaque année pour atteindre la moyenne de… 28 ans ! 

Mon choix se porte sur un maison de l’agence Cohabs (https://cohabs.com/) à Brooklyn, dans le quartier de Bedford Stuyvesant, loin du chaos de Manhattan. La vie est bien différente de la fourmilière de Times Square au soleil couchant, du tumulte de Wall Street bondé par les costumes trois pièces entre les heures de bureau ou de Central Park un samedi après-midi ensoleillé. Les sirènes crient toujours au loin, les avions rasent toujours la maison et quelques fous parlent toujours tout seul dans la rue, mais à Brooklyn, je peux dormir et on s’y sent bien. J’ai tout de même tenté un pari osé. Je m'installe à Bedford 267, maison qui accueille pas moins de 24 résidents. Amatrice de solitude et rapidement ennuyée par la foule, je me questionne jusqu’à la dernière minute s’il s’agissait de la meilleure décision ou de la pire.

Alors c’est comment de vivre en colocation à 24 ?  C’est exceptionnel. 
Je débarque à Kosciuzsko Street, rue dont on ne sait même pas prononcer le nom et le Uber me largue devant une jolie maison en pierre, ornée par les typiques escaliers de secours qui serpentent le long du mur. Quatre étages, un rooftop, une terrasse, un sous-sol avec bar et babyfoot, une salle de sport, une immense cuisine, deux salons, des espaces de coworking… tout y est. Ma petite chambre qui donne sur l’arrière-cour (et principalement les voisins) est super mignonne et j’ai l’impression de retourner tout droit à mes 15 ans et ma chambre d’ado. Je déballe ma valise, installe le tout dans mes armoires et me faufile dans le lit qui sera le mien pour les six prochains mois. Et bizarrement, je m’y sens bien. 

La colocation c’est le bon compromis entre le besoin d’autonomie tout en évitant la solitude. Dans ma bulle, je peux me consacrer à l’écriture, la lecture, réfléchir au sens de ma vie. Et quand la solitude me prend, j’ouvre la porte, je toque à celle d’à côté et il y aura toujours quelqu’un de motivé pour discuter, aller boire un verre, regarder un film. Toujours. A portée de main. Et dans la minute. Calme, je peux très bien passer la journée sans croiser personne, faire une sieste sur le toit, cuisiner toute seule et regarder une série au salon sans être dérangée. A l’inverse, je peux également passer ma journée entourée. A choix. Tous les jours. 

Vivre en colocation c’est comme vivre avec toute ta famille élargie. Tu ne les choisis pas mais t’es coincé avec eux. Sauf qu’ils ont ton âge et pour eux, tu pars de zéro. Personne ne connait ton passé, ton présent, qui tu es, ce que tu aimes, ce que tu fais, la façon dont tu t’habilles ou te comportes. C’est à dire que tu peux être qui tu veux. Comme un reset de ta vie. Et tu vas écrire un nouveau chapitre avec eux, que tu as le choix de rédiger comme tu veux. La page est blanche. Bien sûr il y a les frères et soeurs, ceux avec qui tu es le plus proche et partages tout. Il y a les cousins éloignés que tu ne vois qu’une fois par année aux repas de Noël. Il y a l’oncle chelou et trop vieux pour être là, la cousine chiante, l’autre oncle marrant qui met l’ambiance mais n’a aucune idée de comment on cuit du riz, la daronne qui s’inquiète pour tout le monde et les gosses qui arrivent au repas avec la gueule de bois du siècle.

Si j’avais surtout la crainte d’avoir constamment ma batterie sociale faible, le résultat est totalement différent.
Et toutes ces petites, insignifiantes et adorables choses du quotidien auxquelles je n’avais pas du tout pensé avant. Qui aurait pu me prévenir que j’apprécierais autant partager une après-midi au soleil de Prospect Park, nos soirées films le dimanche soir, la cuisine en ébullition, une partie de baby foot à l’apéro ou encore écouter mon coloc jouer de la guitare sur le toit, d’où j’écris ces quelques lignes face au coucher de soleil de cette fin avril. Qui aurais-je cru si on m’avait dit que je chérirais ces petits instants partagés où l’on toque à ma porte pour échanger les derniers ragots dans mon lit, les batailles de Nerfs au 2ème étage, les discussions qui durent jusqu’au lever du jour, le coloc qui nous cuisine un plat de pâtes ou des sessions lecture pour récupérer de la veille ?

Je réalise à quel point c’est agréable et beau de ne jamais se sentir seule et à la fois si autonome. Jamais dans l’ennui mais libre. De sortir de ma chambre, voir la tête de Charles qui sort de la sienne pour me souhaiter une bonne journée, celle de Lou avec qui je partage tout, puis toquer à la porte d’Hievda pour aller au sport avant de rejoindre le 4ème étage pour travailler en groupe et organiser nos prochaines aventures. 

Vivre ensemble, c’est se voir dans des moments exceptionnels et superficiels, apprêtés et ivres dans une boîte à Bushwick. Mais aussi dans des moments banaux et chiants, en pyjama dans le salon, dans un état désastreux résultant des séquelles de la veille. C’est s’endormir ensemble sur le canapé, s’assurer que tout le monde ait bien, partager sa localisation pour savoir si tous les soldats sont bien rentrés et ses microbes pour former un nid bactériologique et se plaindre parce qu’il reste de la vaisselle dans l’évier. Se coordonner pour cuisiner, apprendre à connaître les 23 autres personnes de la maison, écrire un message sur le groupe pour aller boire un verre et toujours avoir quelqu’un de motivé sous la main, sur place. C’est vivre avec des gens toujours à l’écoute que l’on voit rire, pleurer, vulnérable, ivre, de mauvaise humeur, en colère, heureux et traverser des étapes de la vie alors qu’ils étaient de parfaits étrangers il y a à peine quelques mois. Ces moments sont aussi doux que le soleil de printemps qui vient enfin dégager le temps de merde auquel New York a droit. 

Ils sont ma petite famille le temps d’un chapitre. Et c’est exactement l’expérience dont j’avais besoin. Parce qu’il n’est jamais trop tard.

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