Des news à guide de food tours

“Recherche un guide sur Brooklyn”

S-2 avant le grand départ de l’autre côté de l’Atlantique. C’est le matin, il fait gris comme un lundi de décembre, je suis fatiguée et assise à mon bureau je compte péniblement les dernières heures qu’il me reste avant la délivrance finale. En sortant de la séance de rédaction hebdomadaire, mon téléphone vibre. Je reçois un message de ma meilleure amie qui m’envoie le screenshot de cette story Instagram assez primaire: “Recherche un guide sur Brooklyn”. Elle m’explique en deux mots qu’elle suit cette compagnie française qui a créé un concept de food tours en Europe et un aux USA. Je pars faire un tour sur la page Instagram de la compagnie en question, No Diet Club.

L’idée ? Découvrir les pépites cachées de Downtown Brooklyn et déguster de la street food locale de qualité le temps d’une visite de quelques heures dans cet immense quartier de New York. Le poste recherché ? Un guide bilingue français-anglais, qui puisse amener les clients sur les différents spots pour déguster la nourriture sélectionnée, se balader dans le quartier, donner des éléments de contexte, mais aussi discuter avec les groupes et bien sûr, manger. Le tout, à seulement une vingtaine de minutes de chez moi et à partir de janvier, soit coïncidant parfaitement avec ma date d’arrivée. Si ça c’est pas un signe de l’univers.

Ni une ni deux j’écris à la compagnie pour plus d’informations. Quelques semaines plus tard, je m’envoie des dumplings dans le parc avec une série d’inconnus super sympas tout en se racontant nos vies. Et ça, c’est mon nouveau job.

Street food: Déroulement du tour

Basée en France, la compagnie No Diet Club propose principalement des Food Tour dans l’hexagone et en Europe. On trouvera par exemple des tours à Lisbonne, Barcelone, Milan ou encore Londres, Toulouse et Paris. Mais depuis l’année dernière, le groupe d’adeptes de la bouffe (et surtout du gras) a étendu son activité Outre-Atlantique. Un premier tour américain voit alors le jour à New York.

La thématique : Street food de Brooklyn. Pour une fois, on laisse tomber Manhattan et on se rend dans un quartier très sympa de Brooklyn pour se perdre dans ses rues calmes et recelant de petites pépites. Au départ de Downtown Brooklyn, les visiteurs effectueront cinq stops différents sur ce tour qui se promène entre le quartier des finances de Brooklyn, passant par Clinton Hill puis rejoignant le début de Bedstuy, après environ 2h30 de visite du quartier et d’engloutissement de calories.

Au menu, on évite les traditionnels bagels, burgers ou hot-dog new yorkais pour découvrir d’autres casse-croûtes plus authentiques. Sans pour autant laisser tomber l’immersion américaine, avec par exemple les excellents (et gras) donuts de fin de tour. Le tout loin des clichés touristiques. Le groupe allant de 2 à 10 personnes réalisera alors un petit tour du monde gastronomique. Nourriture chinoise, mexicaine, italienne et jamaïcaine… de quoi faire voyager les mangeurs au coeur des plus grosses communautés ethniques de New York, ville cosmopolite. L’occasion également de découvrir le quartier juif de la Grosse Pomme, l’un des plus grands quartiers juifs orthodoxes au monde et les rues résidentielles du Brooklyn traditionnel.

Un donut, une rencontre

Si la nourriture est évidemment l’élément clé du tour, les participants y jouent également un grand rôle. Des personnes de tous horizons, cultures, origines, âges, professions, personnalités différentes avec un seul point commun : la curiosité. Véritable liant social, la nourriture déclenche de nombreux sourires et nous permet surtout de passer des moments extraordinaires avec des personnes inconnues quelques minutes auparavant et qu’on ne reverra probablement jamais. Mais le temps de quelques heures, on partage un instant de bonheur, des expériences, des anecdotes.Je rencontre des personnes surprenantes et fantastiques. Certains auront marqué leur passage et je sais que je me souviendrai d’eux pendant encore bien des années. J’apprends énormément sur les différentes habitudes et coutumes des différents pays d’origine des participants. Beaucoup d’entre eux sont également intéressés et intrigués par la Suisse et son fonctionnement. On partage cet instant suspendu dans le temps, autour d’une part de pizza de 3 Luigis où le manager m’attend tous les jours avec le sourire et ma pizza préférée sortie du four: la pizza sauce à la vodka. (Oui je m’envoie la slice trois fois par semaine… et toujours la même. Je sais…)

Sortir du sentier balisé

Alors vous me direz: c’est super tout ça, mais comment tu passes de journaliste à guide de food tour? Car oui, manger des donuts trois par semaine c’est bien joli mais ça paie pas les factures. C’est bien vrai.

Les Food Tour, ils remplissent pas mon frigo (même si techniquement, parfois, oui). Mais ils remplissent ma jauge sociale, mon taux de sérotonine et mon réservoir d’expériences. Et bien sûr, mon estomac. Je n’ai pas lâché ma carrière de journaliste que je viens d’ailleurs d’entamer après quelques années d’études, pour finir par regarder des touristes me donner un tip ridicule après avoir manger pendant deux heures dans l’une des ville les plus chères du monde. Je le fais pour le changement. Pour la découverte. Pour mon humilité. Pour avoir un rythme. Et en bonus, un peu d’argent de poche. Evidemment que je retournai bientôt à ma “vraie” carrière. Mais pour l’instant, j’ai besoin d’être nourrie par autre chose.
Comme ces quelques histoires : 

Un adorable couple de Suédois à la retraite s’offre leur dernier voyage à New York, ville chère à leur coeur puisqu’ils s’y sont mariés il y a 25 ans. Mais le voyage pèse trop lourd en terme d’empreinte carbone. “Maintenant, on fera l’Europe en train! En attendant, on essaie à la fois de tester des nouvelles choses pendant notre séjour, à la fois de refaire ce que l’on connait et qu’on adore. Il faut d’ailleurs qu’on aille acheter une valise pour ramener nos 36 bagels frais lundi ! C’est la tradition, on a déjà fait la place dans le frigo.”
Quelques semaines plus tôt, une famille de Néo-Zélandais visitait la Grosse Pomme avec les enfants et la grand-maman avec qui je passe la majorité du tour à discuter et tisser un joli lien. Alors que j’ai encore toute ma carrière devant moi, la sienne est derrière. Elle m’encourage à avant tout poursuivre mes rêves. “Plein de succès dans votre carrière Léa, je crois en vous. J’espère que vous m’enverrez votre premier documentaire !” J’ai la larme à l’oeil.
Certains, j’ai l’impression de les connaître depuis toujours et c’est limite si on ne se check pas à la fin, comme si on allait se revoir autour d’une margarita à la prochaine happy hour. Pour d’autres, j’ai l’impression que c’est le destin qui me les envoie. Je rencontre par exemple un traducteur français en free-lance, exactement ce que j’aimerais faire en parallèle de mon métier depuis petite. En plus de sa bonne humeur et son enthousiasme (il fait littéralement le taff pour moi, le tour est une pure partie de plaisir), il me donne toutes les infos dont j’ai besoin et me motive à poursuivre dans cette voie. Je rentre à la maison et je m’inscris sur les plateformes de traducteurs. Quelques jours après, j’ai mon premier contrat. Sans lui, je ne me serai jamais lancée.  Ou encore cette Australienne qui a offert un voyage à New York pour les 18 ans de son fils et qui s’apprête à tout plaquer pour ouvrir un bar à vin avec ses copines. Lorsque je lui dis que c’est l’un de mes rêves plus tard et qu’on discute de son projet, on se rend compte qu’on a exactement les mêmes idées. Son bar ressemblera exactement à celui que j’avais en tête, mais à l’autre bout de la planète. 

J’apprends que les femmes japonaises ont l’habitude de porter un masque en public lorsqu’elles ne sont pas maquillées. Que le Mandarin comporte près de huit manières de dire un seul mot. Ou encore que les chewing-gums sont interdits à Singapour.

La vie n’est pas un sprint qu’on doit courir en ligne droite. Elle est faite de détours, qui ne sont non pas une perte de temps, mais des parenthèses de découvertes, des projets, de l'’enrichissement, de la remise en question. Des tremplins. Si le parcours professionnel est une part importante de la vie (des Suisses en tout cas), il doit être nourri par des expériences personnelles, par de la diversité, par des prises de risque. Il faut sortir du sentier balisé. Et le quitter s’il n’est pas un plaisir. Car les lignes de mon CV ne feront pas l’objet d’un hommage le jour de mes funérailles. Personne ne se souviendra des mes expériences professionnelles, de mes formations et à quel moment j’ai divagué. Et tout le monde s’en fout. Ce n’est qu’un CV. Mes souvenirs, mes rêves, mes expériences par contre… je veux les regarder dans le rétroviseur une dernière fois avec la satisfaction d’avoir vécu ma vie avec mon coeur. Et quelques donuts maison. 

Et quand je repense au message sur mon téléphone en ce lundi matin de décembre, je me dis que dans la vie parfois, des petites choses peuvent tout changer.

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