Durabilité dans la capitale de l’excès

J’ai dû céder.

Octobre 2023. Dilemme écologique n°4578.
Prête à traverser l’Atlantique par tous les moyens sauf l’aviation, je m’étais déjà faite à l’idée de prendre deux semaines de voyage en mode 20è siècle pour rejoindre la côte est des Etats-Unis par les mers. Je me projetais déjà: ma valise, mon journal, ma musique et moi voguant tranquillement sur le deuxième plus grand océan du monde. Deux semaines de lenteur, de réflexion, de transition entre deux univers, deux continents, mais aussi entre deux vies. Après tout, on oublie souvent que le voyage, c’est ça. Ce n’est pas uniquement la destination. C’est se déplacer dans un espace-temps qui nous échappe, qui est hors de notre contrôle, mais que l’on peut physiquement traverser. Qui nous fait partir d’un point A comprenant toutes nos connaissances, nos croyances et nos habitudes, à un point B où toutes ces cases restent à remplir. J’avais envie de vivre ce moment, de vivre cette distance et cette unique expérience. Et puis, deux semaines sur six mois, c’est quoi, si je peux sauver l’empreinte carbone d’un trajet Genève-New York ?

Malheureusement la réalité est bien différente et beaucoup moins romancée. Après trois pauvres recherches sur Google, le Phileas Fogg qui dormait en moi a tourné de l’oeil. Je comprends assez rapidement que le trajet qui se fait uniquement via cargo (faisant de moi un container à sardines ou à jeans Zara) ou par gigantesque paquebot, s’avère être plus polluant que l’avion... NEVERMIND. Ma fantaisie d’aventure s’évapore aussi vite qu’un verre de rosé en juillet et j’accoste à nouveau en 2024, période régie par le profit avant tout.

Je ferme les yeux sur mes principes après presque cinq ans d’abstinence aérienne pour me rendre sur le site de Swiss Air. Je commande donc mon vol long-courrier, tellement bon marché que s’en est risible, qui me permettra toutefois de rester sur place une demi-année. 6200 km pour environ 600 kg de CO2. Une demi tonne de dioxyde de carbone juste pour ma petite personne. Est-ce que c’est justifié? Probablement pas.. Est-ce que la compensation que je vais payer sur myclimate.org suffira à éponger mon empreinte justifiée par mon désir égoïste de voyage? J’en doute. Est-ce que tout le monde s’en fout à part moi? Absolument.

USA: La vie en grand

J’ai réussi à pardonner mon écart en m’auto-justifiant que la durée du voyage en valait la peine. Je ne me souviens pas avoir déjà pris un avion pour un week-end shopping à Nice, mais je devrai par contre réembarquer pour la Californie à la fin du séjour. Il semblerait qu’une nouvelle pause s’imposera au retour avant de reprendre les airs si je veux pouvoir dormir sur mes deux oreilles. 

Mais le trajet est une chose. La vie sur place en est une autre. Et autant dire tout de suite qu’hors du Vieux Continent, tout n’est pas fait pour opter pour un mode de vie respectueux de l’environnement. Pour être honnête, en Amérique, tout est plutôt fait pour le détruire. Aux Etats-Unis, la règle est simple: Tout doit être avant toute chose pratique et rapide. Vite fait. Sans effort.

Sans surprise, je me prends une gifle. Passer de Vallorbe, patelin suisse romand, où la rivière coule entre montagne et forêt à New York où l’Hudson coule sur un tapis de biphényles polychlorés, il y a disons, un univers. Tout est plus grand, plus gros, plus vaste, en plus grande quantité. Les voitures, les rues, les immeubles, les cocas, les cafés, les briques de lait. Le plastique et l’usage unique règnent. Le gaspillage importe peu. Ce qui compte c’est la suffisance et le confort. La surconsommation est littéralement reine. Pourtant, sous les porches et les bouches de métro, des centaines de sans-abris crèvent la dalle. Paradoxe ridicule.

Qui a déjà passé plus d’un quart d’heure en face du rayon oeufs pour tenter de trouver une boîte convenable à sa consommation, c’est à dire plus petite que 24 pièces ? C’est un dilemme auquel je ne pensais jamais avoir à faire face. Comme je ne pensais jamais voir des chauffages extérieurs tourner à coin en plein air. Des congélateurs ouverts dans les supermarchés. Et des lumières allumées dans chaque salle de chaque étage de chaque immeuble 24h/24. Les déchets jonchent le sol, les mégots volent en harmonie, les pots d’échappement grondent, les lumières artificielles cachent les étoiles et les supermarchés me donnent le tournis.

Pourtant, New York n’est certainement pas la plus mauvaise élève du pays, puisqu’elle apparait dans le top 3 des villes les plus durables des Etats-Unis après Boston et San Francisco, selon une étude américaine. Mais comment une ville d’importance mondiale, avec l’un des quartiers d’affaires et d’innovation les plus connu de notre planète, où la vitesse est maître, semble être aussi en retard ? Comment peut on encore être choqués parce que le recyclage est pratiquement absent, l’herbe est artificielle et le plastique semble être toujours aussi populaire qu’auprès des ménagères des années 70 ?

"Oui mais ça va, il y a quand même Central Park!”. Autant dire que le poumon de New York a l’air d’essayer de se débattre tant bien que mal pour respirer dans le corps d’un fumeur de Gauloises sans filtre soixantenaire. Si Central Park est la plus grande étendue verte de Manhattan, sa biodiversité (littéralement un carré vert de gazon) reste maigre et stérile pendant que le reste de la ville doit se satisfaire de quelques parcs et de timides arbres survivant sur l’immense surface bétonnée. Avec ce manque de verdure, la chaleur qui ne peut être absorbée nulle part s’abat sur la ville qui suffoque chaque été. Pendant ce temps, l’american dream s’affaisse à la même vitesse que New York, qui s’enfonce chaque année d’1 à 2mm (voire jusqu’à 5mm pour l’île de Manhattan) sous son propre poids, d’autant plus menacé par la montée des eaux.

Est-ce que c’est décourageant ? Est-ce que je me dis que j’ai inutilement co-créé une association environnementale pour reverdir et sensibiliser mon petit village de 4000 habitants pendant que les touristes volent en hélicoptère au-dessus de la statue de la liberté? Pas du tout. Ca veut juste dire qu’il y a encore du pain sur la planche. Et tant qu’il y aura des améliorations à faire, je serai au front pour m’y atteler.

Se recréer une routine durable à New York

Sept ans après avoir mis en place un quotidien “éco-responsable” (pourquoi ce terme est-il si pompeux) plus ou moins fonctionnel, j’ai désormais adopté un mode de vie qui diffère certainement un peu de la norme. Un mode de vie proche du "zéro déchet” que ce soit dans ma salle de bains, ma cuisine, mon dressing ou simplement la vie de tous les jours, un jardin potager en permaculture, des habitudes d’achats modérés aux besoins nécessaires (ou presque), une consommation locale, biologique dans la mesure du possible et toujours de saison, des produits ménagers fait maison et naturels, des déplacements en transports publics, limiter l’avion et adopter tous les petits gestes du quotidien que la majorité des Suisses ont l’habitude d’effectuer puisqu’éteindre la lumière, ça paraît évident.

Le tout, non pas pour donner l’impression que je fais tout juste et me donner une médaille, mais pour compenser mes imperfections puisque ma vie ne vaut pas plus qu’une autre et je refuse que mon empreinte de Suisse privilégiée ait un impact négatif sur un enfant insulaire qui subira de plein fouet et en première ligne les dérèglements climatiques.  Et comme il a été prouvé à de multiples reprises que la responsabilité individuelle équivalait à environ 25 à 45% des émissions de gaz à effet de serre, la vie quotidienne joue un grand rôle sur notre empreinte globale (hé oui, même si Coca-Cola produit 3,2 millions de tonnes d’emballages plastiques par année). Ce n’est plus une excuse. Où que l’on soit. 

C’est bien joli tout ça, MAIS en foulant mes premiers pas sur le béton armé new yorkais, loin de mes habitudes campagnardes, j’ai vite compris qu’il allait falloir mettre en place une nouvelle stratégie. Autant dire que je peux oublier ma tournée de courses habituelles panier sous le bras chez le boulanger, choisir des produits frais chez le laitier avant d’aller chercher mes légumes à la ferme et mes oeufs chez le voisin. C’est le grand retour du supermarché ! J’opte pour la chaîne des Whole Foods, légèrement plus chère mais l’un des seuls supermarchés où l’on trouve un choix suffisamment large de légumes (et non les patates n’en sont pas contrairement à ce qu’ils ont l’air de croire ici…), des produits biologiques, frais et pas trop transformés. On limite les dégâts.

Mes sacs en tissu sous le bras, je pars à la recherche d’une épicerie vrac. Pour dire qu’il y a huit millions d’habitants dans cette ville, des épiceries de ce type, il y en a pas des masses… J’en trouve quand même une à Greenpoint, Maison Jar, lancée par Larasati Vitoux, d’origine française. Produits ménagers, pour la salle de bain, la cuisine, mais aussi un rayon frais, des fruits et légumes, une fontaine de Kombucha… Le tout sans emballages inutiles, proposant des produits sourcés de qualité. (https://www.maisonjar.nyc/)

Puis il y a la guerre du plastique. S’il est plutôt aisé de refuser les sacs plastiques (on vous demande généralement si vous avez besoin d’un sac ou non), c’est une autre paire de manches concernant les usages uniques comme les gobelets ou les tasses à café. Qui sont généralement en plastique même si on s’arrête le boire dans le café en question ! La vaisselle, on connait pas. J’embarque donc ma gourde et mon mug avec moi ou réfléchis à deux fois avant de commander un Chai à l’emporter.

Je ne suis certainement pas au bout de mes surprises. Mais pour l’heure, je vais tenter de trouver une salade verte qui ne soit pas enfermée dans une triple barquette en plastique, aspergée de produits qui ne peuvent même pas franchir nos frontières et du lait sans OGM.

Et je repenserai à toutes les petites choses sur lesquelles j’ai le contrôle, durant mon vol au kérosène New York-Genève.

Sources :
https://www.breakfreefromplastic.org/
https://myclimate.org/
https://www.carbone4.com/publication-faire-sa-part
https://www.lawnstarter.com/blog/studies/most-sustainable-cities/

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